Luc Vanrell est l’inventeur de l’épave de l’avion d’Antoine de Saint-Exupéry. Il a retrouvé l’identité du pilote allemand qui a abattu l’avion de l’auteur du Petit Prince, dans la rade de Marseille ! Son livre : « Saint-Exupéry, l’ultime secret » de Jacques Pradel et Luc Vanrell est préfacé d’Alain Decaux.
Il a accepté de répondre aux questions d’Eric Vastine et l’a autorisé à publier cet entretien.
– « Comment as-tu eu l’idée de rechercher des épaves ? »
Luc Vanrell : « Ce n’est pas l’idée recherchée, mais plutôt une opportunité liée au hasard ! La première épave qui est entrée dans ma vie, se trouvait au Sud de la Sardaigne. Mon père, passionné d’archéologie, recherchait des épaves antiques. Avec un ami plongeur, ils recherchaient une épave signalée par de nombreux tessons. J’avais 6 ans et je plongeais déjà depuis un an. J’avais pour consigne de ne pas dépasser le bout du plateau, dans une zone de 0 à 5 mètres. Je barbotais seul et c’est moi qui suis tombé dessus. Elle était sur le plateau et non pas au pied du tombant ! Une épave antique avec en prime, la découverte de ma première amphore !
Or à cette époque, la mer m’intéressait bien plus pour la voile et la pêche, activités favorites des jeunes du 8ème arrondissement de Marseille. Pourtant, la plongée va revenir en force 4 ans après, à l’age de 10 ans.
Jusque-là, le matériel était peu adapté pour les enfants. En bouteille, après 3/4 d’heure passé sous l’eau, on avait un peu froid. Tandis qu’en apnée, on pouvait passer la journée dans l’eau. La recherche de nouveaux sites, de l’exploration va véritablement me passionner. Essayer de trouver des paysages nouveaux, des roches ou des tombants inconnus. De ce fait, en cherchant, on trouve inévitablement aussi des épaves… »
– « Quelle est ta méthode pour les rechercher ? »
Luc Vanrell : « Avant tout, il faut définir une zone géographique et de ne pas se disperser. La quadriller de façon rigoureuse. Parce qu’en procédant au petit bonheur la chance, on risque de ne rien trouver et de se lasser rapidement. Le principe est de prendre une carte marine et d’explorer une zone à fond. Si elle est accessible facilement, je la visite en plongeant. A l’inverse, elle est prospectée depuis la surface à l’aide d’un sonar et d’un sondeur vertical. J’en dessine le profil et relève toutes les anomalies. Mais, il faut une sacrée expérience et de longues heures de pratique pour déterminer le type de matériaux qui est au fond (sable, vase, bois, poterie, ou métal). Là encore, je vérifie visuellement la zone après ce premier repérage.
C’est donc LA surprise quand on tombe sur quelque chose d’intéressant. C’est très gratifiant !
Contrairement à ce que l’on croit, les cibles sont souvent d’intérêt nul. Pourtant, l’important est de pouvoir marquer sur sa carte : A cet endroit, il y a une anomalie au fond, mais elle n’a aucun intérêt. Il faut admettre que c’est aussi important que de trouver quelque chose… Là, c’est une partie de poker ! »
– « Combien d’anomalies ? Et combien de réussites ? »
Luc Vanrell : « Sur l’épave de SAINT-EXUPÉRY, je ne préfère pas compter les anomalies, ça représente beaucoup de plongées pour trouver parfois une pièce de 20 cm² avec deux boulons. L’épave était très dispersée. Je pense à un autre avion que l’on a retrouvé, celui-ci est arrivé comme étant la seizième cible de la zone prospectée. Sur une zone profonde, on est deux plongeurs. On a accès à deux cibles par jour et par plongeur, soit 4 cibles seulement par journée de recherche. C’est la raison pour laquelle, il faut quadriller, noter, repérer précisément la position des anomalies. »
– « La quadriller au G.P.S ? »
Luc Vanrell : « A cette époque, on n’a pas de GPS. On travaille avec des systèmes de navigation traditionnelle comme le compas. Par des relèvements à terre, on fait des passages parallèles, de façon à ne pas oublier une partie sur une zone de 2 hectares. Car si on oublie ne serait-ce qu’une zone de 50 m², ça peut être critique. Il pourrait y avoir quelque chose d’intéressant à cet emplacement. Il faut avoir de la patience et faire du systématique.
Dans le cas de l’épave de SAINT-EXUPÉRY, c’est plus difficile car la zone était profonde, limitant les sorties à une seule plongée par jour.
A cette profondeur, la mise en œuvre et la logistique sont plus lourdes en matière de plongée. Mentionnons que je cherche une épave, mais je trouve seulement des débris d’avion. De surcroit, tellement fragmentés qu’il est difficile d’en reconstruire ce puzzle ! Je commence à explorer cette zone au début des années 80. Un peu, de temps en temps, car la zone est profonde et il faut de bonnes conditions météos. Sur cette zone, je me suis arrêté à 87 mètres… »
– « Luc, comment organises-tu la plongée ? Utilises-tu des mélanges pour des plongées profondes ? »
Luc Vanrell : « Je fais des recherches à l’air pour une question de facilité de mise en œuvre. Le temps passé au fond (15 minutes à 87 mètres en comptant la descente) m’oblige à des temps de décompression trop lourds. Il ne me reste pas beaucoup de temps pour faire de la recherche de VISU sur des cibles très petites qui sont impossibles à marquer au sondeur depuis la surface. Par contre, pour les plongées d’identification où j’essaye de comprendre et de photographier les indices sur les fragments de l’appareil, là, pour des questions de lucidité et de rendement de la plongée, j’effectue une plongée aux mélanges ternaires classiques TRIMIX (mélange : azote-oxygène-hélium). »
– « Pour l’identification de l’avion de St-Exupéry, tu prenais des photos et ensuite tu contactais des historiens ? »
Luc Vanrell : « Les premières photos prises de cette épave, puisque je pense qu’elle est suffisamment significative et célèbre pour qu’on puisse la prendre comme référence, date de 1982. Très vite, j’envoie des photos de certaines pièces qui me paraissent identifiables à des passionnés d’aviation ancienne. Ils n’y voient rien qui ne leur permettent d’identifier le type d’avion. Certains prennent un train d’atterrissage pour un mat de charge d’un bateau !
Les gens, en général, ne s'intéressent qu'à une épave homogène et complète. Posée si possible à l’endroit, à plat et en un bon état ! Car c’est plus joli qu’un avion en pièces détachées, éparpillées en vrac au fond de la mer, pour laquelle il y a peu de chance d'identifier le pilote.
Finalement, mes contacts ne rebondissent pas sur mes informations. Pourtant, je persévère. J’espère tomber sur une pièce suffisamment significative pour remonter à l’histoire de cet appareil. Au même moment, je trouve un autre appareil : un bombardier allemand. On reconstitue son histoire, et on réussit à identifier les quatre membres d’équipage, tous morts dans le crash. Cela me permet de nouer de nouveaux contacts dans le monde des passionnés d’aviation, mais rien ne se passe… Pourtant, les choses vont enfin s’accélérer grâce à l’arrivée d’internet. Puisqu’on communique rapidement et avec facilité au-delà des frontières. Ainsi, quand l’affaire de la « gourmette » sort dans la presse… »
– « Et quand l’affaire de la gourmette sort dans la presse …que fais tu ? »
Luc Vanrell : « …il se trouve que je travaille en mer, face à la zone de pêche du bateau de Jean-Claude Bianco. Depuis plusieurs semaines, je peste car je le vois passer sur le champ de débris en me disant que les pièces seront déplacées et que certaines disparaîtront. Je me dis qu’on ne pourra plus comprendre l’histoire de cet appareil car les filets de pêche auront fait des dégâts irrémédiables. Dès lors que Jean-Claude Bianco déclare la gourmette en 1998, le lien est très rapide. Je connais sa zone de pêche et je sais qu’à cet endroit, il y a des débris d’avion.
La question que je me pose : "Y a-t-il un lien entre la gourmette repêchée et les débris ?" D’un puzzle d’aluminium, on passerait à l’hypothèse d’un appareil très précis. Auquel cas, ce serait la résolution d’une sacrée énigme historique. Ce qui est extrêmement motivant ! Je préviens alors les autorités de façon formelle qu’il y a peut-être un lien entre les deux. Mais vu que l’affaire de la gourmette a été difficile, je n’affirme rien tant que je ne suis pas sûr. Il faut dire que l'inventeur de la gourmette a été traité de faussaire !
Désormais, je recherche une identification formelle. Mais la piste s’est déjà ouverte. De n’importe quel appareil, je suis passé à « Est-ce qu’il ne s’agirait pas d’un appareil américain de type LOCKEED P38, surnommé « LIGHTNING ? » (Lightning signifie l’éclair car l’avion est très rapide pour l’époque.) Très facilement, je reconnais sur mes photos une pièce typique de cet appareil. Malheureusement, cette identification est insuffisante car 42 avions de ce type ont disparu sur le littoral provençal ! Les recherches côté allemand sont compliqués en raison du nombre d’archives perdues dans la débâcle. Aux USA, les américains connaissent exactement le nombre de disparus, et ceux qui ont pu survoler la zone. Sur 42 appareils, seulement 12 ont pu tomber en mer. Et dans l’un deux, il y a le propriétaire de la gourmette : Antoine de Saint-Exupéry. »
– « Est ce que tu penses à ce moment-là que c’est la gourmette et l’avion d’Antoine de Saint-Exupéry ? »
Luc Vanrell : » Je ne vois toujours pas comment l’affirmer. Si bien que je lance un appel à l’aide sur internet. Les associations françaises me répondent qu’elles ne reconnaissent pas les débris. Trop dégradés ! Par hasard, je tombe sur une association de vétérans qui pilotaient les P-38 pendant la guerre. Des pilotes américains octogénaires, le 367 Groupe de chasse de l’US.AIR FORCE, surnommé » The Dynamite Gang » vont se passionner pour l’affaire. Comme ils ont dans leur rang un ancien technicien de chez Loockeed, qui a gardé personnellement des archives sur la fabrication de ces avions (alors que les archives de l’usine Loockeed ont brulées à l’époque dans un incendie), je me retrouve ainsi avec une documentation technique extraordinaire et des gens extrêmement motivés.
Pour l’anecdote, je me suis demandé pourquoi ils étaient si motivés, alors qu’en Europe personne ne s’en intéressait vraiment ?
C’est une démarche totalement différente de la nôtre. Nous avons un long passé de guerriers ; la guerre est malheureusement une chose assez ordinaire dans nos nations européennes. On a le culte du soldat inconnu pour se rattraper sur le devoir de mémoire. On ne s’acharne pas à aller jusqu’au bout des histoires. Alors que les américains recherchent un disparu jusqu’à ce qu’ils puissent effacer son nom du mur des disparus du cimetière d’Arlington. Et c’est une catastrophe tant qu’on ne l’a pas retrouvé. Comme l’avion peut être américain, ces vétérans sont motivés. Et ils vont tout faire pour retrouver le nom de ce compagnon d’armes.
Un autre problème se pose ... Il y a longtemps, j’avais trouvé sur la zone un moteur et celui-ci ne correspondait pas du tout à un P-38 puisqu’il n’avait que 6 cylindres. Alors il me vient l’idée que si le moteur est envasé, on ne voit peut-être que le haut de la culasse d’un V-12..."
– « Correspondant ainsi à celui d’un P-38…? »
Luc Vanrell : « Je vais donc dévaser le moteur pour m’apercevoir que c’est bien un moteur en V, 12 cylindres. Il a tout d’un moteur P-38. La taille, les 12 colonnes, la géométrie.Je relève dessus le numéro de série avec un marquage et je l’envoie immédiatement par mail à Jack Curtis, la personne qui m’a le plus soutenu dans cette affaire. Jack me répond tout de suite : « Cette numérotation n’est pas américaine, ni anglaise. Je peux l’affirmer de façon sûre et certaine ». Puis, il ajoute : »Regarde du côté allemand ou Italien ».
Évidemment : GROS problème ! On a voulu voir un rapport entre la gourmette et les débris... Hors, il n’y en avait pas ! Nous avons commencé à identifier un P-38 et on s’est trompé !
On repart avec nos morceaux qui ont permis l’identification dans les nomenclatures de pièces détachées des avions allemands. On veut trouver une correspondance avec un de leurs appareils. Il est à noter qu’il y a une certaine similitude avec un Messerschmitt 109, mais ça ne colle pas parfaitement ! Puis, au bout de quelques semaines de doute, Jack me renvoie un mail avec une photo entourée de sa main. Il me dit qu’il n’y a aucun doute. Ce train d’atterrissage ne peut être que celui d’un P-38. Il faut savoir que chaque avion à un train d’atterrissage unique. C’est un moyen formel de reconnaître un appareil. Pour ces raisons, il me demande d’envisager la piste de 2 avions : l’un américain et l’autre allemand sur la même zone de ce champ de débris. »
– « Ça va compliquer les choses ? »
Luc Vanrell : « Et OUI, nous revoilà partis avec notre liste de 12 appareils potentiels sur la zone. Je tiens absolument à ce que l’identification soit certaine, au moins à mes yeux. D’autant plus que je sais que ça va faire du bruit dans la presse. J’ai vu les problèmes qu’avaient posés la déclaration de la gourmette à Jean-Claude Bianco et toutes les polémiques qu’elle avait soulevé… Maintenant, il faut faire un lien entre cette épave de P-38 et celle de Saint-Exupéry. Pour cela, je me replonge dans la documentation pendant des heures, j’y consacre le plus souvent mes soirées.
Et je m’aperçois, par hasard, que les P-38 ont fortement changé à un moment donnée. Pendant toute une génération d’appareil, on a continué à faire des additifs à la documentation existante, les modifications n’étant pas significatives. Par contre, à partir d’un modèle particulier, ils doivent refaire une nouvelle documentation, même s’il a la même silhouette ! Ça m’interpelle et je me dis que c'est le détail pour démontrer qu'il s’agit d’un nouveau ou d’un ancien modèle. Je me replonge sur la liste de pertes et par chance, je m’aperçois qu’il n’y a plus que 4 appareils de la deuxième génération qui ont disparu et qui ont pu voler au-dessus de la Méditerranée (dont celui de St-Exupéry).
En affinant les recherches sur la perte de ces appareils, je me rends compte qu’on connait l’histoire de 3 sur 4. En allant plus loin, on connait même leurs points de chutes par des témoignages visuel, radar ou radio. Par conséquent, si je veux prouver que c’est un appareil de nouvelle génération, cela ne peut être que celui de Saint-Exupéry ! C’est le seul en Méditerranée et dont on ignore la fin de l’histoire. Pour les 3 autres, UN a été renfloué et pour les DEUX autres, les pilotes ont émis leur position de chute (l’un à Menton et l’autre au Cap Corse). Donc, impossible d’imaginer une erreur de navigation qui les situeraient près de Marseille ! Aucun chalutier n’auraient pu déplacer l’épave sur tant de kilomètres. Ce qui me reste à faire, c’est identifier un P-38 de nouvelle génération. »
– « Comment t’y prends-tu ? »
Luc Vanrell : »Là c’est un grand travail d’archive. C’est un travail technique – Sur le train d’atterrissage dont j’avais des photos depuis les années 80, je vois que l’on a à faire à un train typique nouvelle génération parce qu’il est renforcé à cause du surpoids du moteur. »
– « Comment retrouves-tu ces documents ? »
Luc Vanrell : « Tous les moyens sont bons. J’ai cumulé une documentation telle qu’elle ne tient plus dans ma bibliothèque sur cette partie de l’histoire et sur ce type d’appareil. Une grande partie via internet et d’autres documents existants liés à des contacts de gens qui sont historiens ou des passionnés, comme le sont mes contacts aux USA ».
– « A ce moment-là, es-tu sûr qu’il s’agit de l’épave de SAINT-EX ? »
Luc Vanrell : « Je préfère vérifier la piste. C’est encore en épluchant la documentation que je vais trouver une particularité. Je dois aller replonger. Vérifier sur le train de l’appareil qu’une certaine pièce est bien en place. Une pièce entre le turbo compresseur et le moteur. Par le logement du train d’atterrissage, je vais toucher la pièce à tâtons. Sur les premiers modèles, elle est toute simple, sans angle. Sur la nouvelle pièce, il a des arêtes ! Que je sens au bout de mes doigts ! J’aimerais la voir, cette pièce ! En la triturant, évidemment les colliers qui la tiennent (qui ont passé 50 ans sous l’eau !), lâchent et je me retrouve avec la pièce à la main et là, j’ai ma réponse !
L’affaire est réglée ! Pour moi elle se termine là.
Évidemment, il y a toujours des sceptiques. Ceux qui ne vont pas au bout de mes conclusions, ni au bout de mes rapports sur l’identification. En effet, ils admettent qu’il s’agit d’un P-38 de nouvelle génération, mais sans lien avec Saint-Exupéry. Quand je fais ma déclaration en étant sûr de moi, je précise que le renflouement des pièces et leurs études permettraient de trouver un numéro constructeur. Fabriqués à la chaîne, tous les avions possèdent un numéro de série qui permettent une véritable taçabilité. Donc, il est certain qu’on trouverait un numéro de série, sur un tronçon significatif. Partant de ce fait, on pourrait le rattacher aux séries livrées à l’armée ou au numéro de matricule militaire. Comme une carte d’identité de l’appareil !
Ça a été fait en octobre 2003. Deux ans et demi après la déclaration !
Ce qui est un délai normal pour l’administration. Le rapport final de fouille précisait les numéros et l’identification absolument indubitable de l’avion et de son pilote. L’armée a rappelé qu’elle était propriétaire de l’épave. Finalement, elle a récupéré les pièces qui ont été expédiées au Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget. Dans un espace spécialement réservé à Antoine de Saint-Exupéry.
Voilà la FIN de l’auteur du Petit-Prince. C'était à Marseille, au large des Calanques..."
Entretien réalisé par Eric Vastine pour l’association LittleNemo et auteur des guides Plonger du Bord.
PS : Luc Vanrell, inventeur de l’épave de l’avion de Saint-Exupéry. Le mot « inventeur » vient d’inventaire ! C’est la personne qui permet de porter un nouveau bien sur l’inventaire des biens culturels attachés au patrimoine et à l’histoire.