Des lignes de vie, le travail de scaphandrier
Extrait du roman de Valérie Vastine DES LIGNES DE VIE, qui raconte la description d’une journée de travail du métier de scaphandrier. Un vécu d’Eric Vastine
C’est un jour comme les autres en France.
Un de ces jours où 2010 bébés voient le jour, un de ces jours où 274 chiens et chats sont abandonnés… Aujourd’hui est pourtant un jour comme je les aime. Propice au coup de cœur du hasard, à une rencontre. Patrick, David et moi : trois scaphandriers avancent. Il est cinq heures et le jour qui se lève découpe la silhouette d’une cheminée. Si grande qu’elle doit dépasser la Tour Eiffel. Ses installations de surface n’ont qu’un seul but : aller sous terre. Nous sommes à la mine de Gardanne, très exactement au Puits Gérard des houillères de Provence.
Les techniciens d’exploitation me font découvrir le chemin.
A peine passé le sas pressurisé, nous entrons dans la cage d’ascenseur. La cloche retentit. C’est parti… C’est la paroi qui semble bouger. Sorte de voyage immobile. Malgré l’air frais qui entre dans le puits par plusieurs endroits, nous retenons notre souffle. Presque en apnée, 611 mètres plus bas, en moins de quatre minutes. On décharge le matériel. Poussière, rouille, tout est gris. L’humidité suinte des parois. Décor apocalyptique de labyrinthes aux allures de fin du monde. On croise de drôles d’engins : machines-outils abandonnées ou hors d’usage, construites sur place, pièce par pièce, au fond du puits. Elles ont servi à creuser et n’ont jamais vu le jour.
— C’est par ici qu’il faut passer, rappelle le technicien.
Les bi-bouteilles sur le dos et le reste du matériel au bras, le parcours semble interminable.
Nous entrons dans une zone où il n’y a plus de lumière. Nous ne sommes plus des hommes, mais des taupes vagabondant dans le réseau de galeries. Ce qui nous reste d’humain, c’est cette lampe sur le front qui est orientée sur le sol pour ne pas aveugler les autres. On avance toujours plus profond dans les entrailles de la terre. Immense chambre noire où se découpent nos ombres. Un défilé de fantômes. On se suit en rang. Je ferme la marche. La chaleur est suffocante avec le néoprène. Les rails sur le sol laissent imaginer combien de personnes ont travaillé pour gagner leur croûte. A droite, à gauche. Seul, je suis incapable de refaire le chemin à l’envers.
L’atmosphère est aussi pesante que notre matériel.
Ici, la galerie est plus étroite qu’ailleurs. Il faut se glisser à quatre pattes, le bi sur le dos. Comme des tortues, nous rampons sous les arcs-boutants métalliques et les grillages qui retiennent les pieux. On peut se redresser et nous sommes arrivés dans la galerie qui nous intéresse. Elle mesure quatorze kilomètres et rejoint Gardanne à l’Estaque. Elle ressemble à une station de métro inondée aux trois quarts. Le travail consiste à retirer la vase qui obstrue la crépine d’aspiration. Sur vingt-cinq mètres de long et trois mètres de haut. Les techniciens arrêtent la pompe. Les scaphandriers sont prêts. J’écoute les conseils et les recommandations du chef de chantier et me rappelle que nous sommes là pour réaliser un travail en un temps donné.
Équipé du narguilé, je m’immerge. Le noir total. Absolu.
Je ferme les yeux pour mieux me concentrer. Je mets en place l’outil qui nous servira à pomper la vase gênante. C’est une sorte d’aspirateur sous-marin géant, identique à celui qu’utilisent les archéologues. Je suis dans trois mètres d’eau. Sur les parois, je me repère et me trace mentalement un plan de la galerie. Je m’arrête et me place pour actionner la suceuse à air comprimé. Comme un aveugle, je travaille au toucher. Comme un Shadok, je pompe. Il faut attaquer la vase comme on couperait un gâteau, méthodiquement, tranche par tranche. Mais c’est son niveau général qui baisse. Je sens par moment cette vase qui recouvre une partie de mon corps.
Dans le noir, la notion de temps disparaît.
J’en oublie même les 611 mètres de terre qui sont au-dessus. Mon souffle rythme mon travail. Le noir absolu est impressionnant. C’est la première fois que je plonge dans le noir. Je ne vois rien, pas même mon doigt sur la vitre de mon casque… Les communications du casque me signalent la fin de la plongée. Déjà deux heures ! Je remonte doucement le long de la paroi. Je fais surface. Mais il ne reste plus que quelques centimètres de vide. La pompe ne fonctionnant plus, le niveau d’eau a considérablement augmenté. Je ne vois rien et j’ai des difficultés à rejoindre mes camarades. Ils me tirent par le narguilé pour me faire rentrer.
En bas, nous laissons le matériel. De toute façon, nous reviendrons demain.