Gérard Loridon scaphandrier écrivain
L’épave du Norécrin. Février 1956.
Une vague de froid sans précédent, vient de s’abattre sur le littoral Méditerranéen.
Des journalistes affrètent un avion, à Cannes, un Norécrin, un avion de tourisme, piloté par une aviatrice célèbre Marie Nicolas.
L’avion décolle pour faire un reportage de la Provence sous la neige.
A peine a-t-il pris un peu d’altitude, qu’il part en perte de vitesse. Il s’abîme dans la mer devant la pointe de Théoule.
Les secours arrivent sur place, retrouvent les corps des journalistes, mais pas celui du pilote, resté prisonnier de l’épave.
Devant la perte de cette personnalité,
l’Amiral Nomy, demande aux meilleurs plongeurs de la Marine, ceux du GERS, de retrouver les restes de cette aviatrice renommée.
Le lendemain nous voit, au large de Théoule, dans un froid intense à bord du canot de sauvetage « Notre dame de Bon port ».
A la verticale de taches irisées d’essence, provenant de l’épave de l’avion.
Nous sommes aux ordres du Commandant Le Boucher, officier en second du Gers.
Nous nous habillons en Mutta di Gomma et nous plongeons deux par deux.
Je suis dans la deuxième équipe. Comme ceux qui m’ont précédé, je ne découvre rien sur le fond, situé quand même à 54 mètres.
Nous sommes équipés de ces tri-aciers, dont la contenance est assez faible. Il fait au fond et surtout au palier, un froid de loup. Nous sortons violets.
Le commandant Le Boucher explique alors aux autorités présentes, qu’il faut faire draguer le fond pour accrocher l’épave.
Ce qui est fait dans les jours qui suivent, par deux bateaux de pêche, tractant un filin équipé de gueuses.
Nous sommes donc de retour, la même équipe, la semaine suivante.
Je plonge en première bordée avec Bernard. Nous nous connaissons bien. Entre nous, il n’y a pas besoin de beaucoup de signes au fond pour se comprendre.
Nous descendons le long du câble que nous découvrons pris dans le moteur de l’avion.
Ce dernier est en plusieurs morceaux informes, dispersés ça et là. Mais pas de corps de la malheureuse pilote.
Il faut faire vite, nous nous éloignons l’un de l’autre, en restant cependant à visibilité et nous commençons à faire des cercles.
Il faut être calme, pour respirer lentement, et ne pas se narcoser.
N’oublions pas que nous sommes à 54 mètres, que l’eau est glacée, que nous avons des vêtements qui sont loin d’être aussi isothermes que nos néoprènes actuels, que l’air des bouteilles nous est distribué par le détendeur ancestral, le CG 45. Dans ces conditions, l’ivresse dite des grands fonds, ça existe et nous en sommes conscients.
Nous sommes en train de passer sur réserve, c’est à dire que nous ouvrons le robinet de la troisième bouteille.
Soudain, dans un creux de sable, je découvre les restes de Marie Nicolas
, dont le corps reposant dans l’eau depuis plusieurs jours a subi les attaques du milieu.
Je fais signe à Bernard, qui comprend aussitôt et nous prenons chacun l’un des bras du cadavre et nous prenons la direction la surface.
Pas question de faire le palier avec le corps.
Quand nous arrivons en surface au milieu des autorités et autres journalistes, personne ne veut accepter la prise en charge des restes de la malheureuse aviatrice.
Heureusement, il y a là le médecin légiste qui lui, nous débarrasse du corps.
Ceci au milieu de nos vociférations : « vite, attraper là, il faut que l’on retourne au palier… »
Ce que nous faisons enfin. Le palier est long, nous vidons jusqu’à la dernière goutte d’air, en claquant des dents sur l’embout du CG45.
Et nous remontons à bord en piteux état.
Démontrant la solidarité des gens de mer, le patron du canot de sauvetage, fait sauter le plomb fermant la pharmacie du bord et nous offre la bouteille de rhum, inscrite sur la liste des médicaments: « …allez y les gars, ça vous réchauffera… ».
L’alcool, c’est connu, ça réchauffe, mais très brièvement, alors nous en avons usé largement jusqu’à l’extinction complète du liquide.
Le Commandant Le Boucher, lui nous regardait en se disant que : « Après tout, si ça leur fait du bien, il ne leur reste plus qu’à ranger le matériel et à dormir en route…. ».
Il avait oublié l’essentiel.
Arrivé au port, les autorités et personnalités présentes se devaient de se congratuler mutuellement, de se féliciter de cette mission bien remplie.
C’est alors que survient descendant de son véhicule avec chauffeur, un haut gradé de la Gendarmerie Nationale.
Car, il y avait aussi des gendarmes. Un grand silence se fait devant cette personnalité militaire qui demande à passer en revue, ses gendarmes et les plongeurs, bien sur.
Là, le Commandant Le Boucher commence à être inquiet, mais nous fait ranger en lignes.
Ce qui ne se révèle pas facile, vu notre fâcheuse propension à ignorer le cérémonial militaire et surtout l’état d’ivresse que l’on ne pourra pas faire avaler au super Pandore pour une suite de la Narcose des Grands fonds.
Mais enfin, on réussit, à établir une ligne zigzagante.
Ceci fait l’Officier, passe devant ses hommes et nous entendons le chef de Brigade lui dire : « …mais, oui, bien sur, mon Colonel, nous avons enfin réussi … ».
Nous nous restons pantois, mais ronds comme des queues de pelle, ce qui nous procure un calme relatif et presque respectueux.
Le Négrita a fait son œuvre
et nous sommes amorphes quand, soudain, l’un d’entre nous, se réveille et, alors que le gendarme lui sert la main, lui envoie : « À vot’service, mon vieux, vous savez où nous trouver ».
D’un matelot en bleu de chauffe à un cinq galons de la Gendarmerie Nationale, ça choque !
Stupeur dans la foule.
Le Commandant Le Boucher, redoutant une suite, due à une émulation éventuelle, de la part des autres membres de l’équipe, lance : « À votre matériel, les gars on embarque… ».
Dispersion, départ en vitesse et sans fanfare.
Il ne nous en voudra pas, nous offrant un bon gueuleton au retour, dans un excellent restaurant à Ste Maxime.
Euphorique l’un d’entre nous passera toute la durée du repas assis sur la casquette de notre officier.
Mission accomplie dans la joie !
Texte et photo issus du blog de Gérard Loridon